La crise sanitaire a mis en exergue notre difficulté à dialoguer pour que puisse être mise en l’œuvre la fameuse « intelligence collective » dont on parle tant.
Je n’ai pas connaissance d’un seul vrai débat, qui plus est dialogue (j’expliquerai la nuance plus loin) mettant en présence des personnes compétentes ayant des points de vue différents. Dans le cas où des personnes avec des points de vue différents étaient conviées sur un plateau, l’échange tournait vite à l’invective, la caricature… Pourtant, je suis persuadé que des solutions optimales auraient émergé si l’on avait réussi à organiser un tel débat / dialogue.
Si on se réfère à la fable des aveugles et de l' éléphant, le travail d’intelligence collective consiste à créer les conditions pour que chaque point de vue (de chaque « aveugle » que nous sommes, prisonnier d’une vision parcellaire de la réalité) puisse être écouté, compris et intégré dans un cadre qui engloberait tous les participants comme étant reliés au sein d’une seule entité… consciente. Vaste sujet !
Facile à dire, difficile à faire… mais pas impossible. Un cadre, incluant méthode & outils, permettant ces conditions est la « Théorie U » de Otto Scharmer. Celle-ci s’applique à tout niveau : depuis une équipe jusqu’à une organisation de toute taille.
L’idée est qu’il y a fondamentalement 2 façons extrêmes de « créer un futur » :
- Du plus « conditionné / automatique » qu'on pourrait appeler le mode réactif : face à un défi, seule la partie du cerveau fonctionnant en « mode automatique » c’est-à-dire programmé par le passé, s’exécute. La réponse est imposée par le cerveau de l’autorité qui détient un pouvoir sur les autres.
- Au plus « conscient / créatif » : les personnes sont dans un état de connexion qui permet aux différents points de vue d’être écoutés, compris, intégrés dans un point de vue global bien supérieur à la somme des points de vues partiels.
Dans la vie de tous les jours, notre façon de faire se situe entre ces 2 extrêmes, bien souvent plus proche de la première, reconnaissons-le.
La Théorie U propose un processus permettant de tendre vers la seconde façon de créer ce futur. Le schéma ci-dessous le résume :
Pour éviter de reproduire le schéma du passé (extrême 1 : pas de descente dans la courbe du U), le processus suit la courbe du U, avec une descente en 3 points :
- Un « esprit ouvert » (à l'opposé du "jugement") permettant de voir les faits avec un œil neuf. Il s’agit de laisser tomber le jugement, le « on sait bien que ça ne marche pas » pour vraiment écouter tous les points de vue. On est ici au niveau du « débat » : chacun dit en toute franchise son point de vue et est écouté.
- Un « cœur ouvert » (à l'opposé du "cynisme") permettant de sentir le système (ensemble des personnes en présence) dans sa globalité. Il s’agit de laisser tomber le cynisme, le « les autres sont des cons », de se mettre à la place de l’autre. On est ici au niveau du « dialogue » : chacun se voit comme la partie d’un tout. Le but n’est plus « d’avoir raison » comme au niveau du débat mais de s’ouvrir à quelque chose de plus vaste que soi.
- Une « volonté ouverte » (à l'opposé de la "peur") permettant le passage à l’action en laissant partir « l’ancien » et émerger « le nouveau ». Il s’agit de laisser tomber la peur de quitter le connu pour aller vers l’inconnu. On est ici au niveau de la « connexion » entre les participants.
Cette descente suppose de développer un état d’esprit dans un cadre bien défini (rassurez-vous, il sera toujours possible de continuer à exercer jugement, cynisme et peur après ! :-)).
La remontée du U consistera à réaliser tout de suite quelque chose de nouveau, issu de ce qui est advenu dans le « laisser venir », afin de se confronter à la réalité rapidement et d’en avoir un feedback.
Voilà pour le principe. La pratique peut prendre différentes formes, selon le contexte, la taille du système considéré. Dans tous les cas, une « sacrée » aventure !